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Article publié dans ALERTE N° 89 (décembre 2003)

Journal trimestriel de la Société d’art public (SAP)
section genevoise de Patrimoine Suisse

Carouge : Cinéma BIO, pomme de discorde 

Le Cinéma BIO 72 défraye la chronique au moins depuis l’automne 2002. C’est aujourd’hui l’objet d’une décision d’achat par la Ville de Carouge (11.11.2003) contestée par voie de référendum (récolte de signatures en cours). De quoi s’agit-il ? 

La projection cinématographique publique a été installée à Carouge pour la première fois dans un bâtiment construit « en dur » en 1927-1928. Le nom le plus récent de cette entreprise et du bâtiment qui l’abrite est "Cinéma BIO 72". Il s’agit, du point de vue du patrimoine bâti, d’un bâtiment typique de son époque où il a semblé judicieux d’installer les salles de cinéma: structures bombées et allongées, réalisées en voile de béton, à la façon des hangars d’aviation, ce qui permettait tant une projection d’images de qualité à longue portée, avec les objectifs du temps, que la disposition de sièges assez nombreux et abrités des intempéries pour le public.  

Le cinéma BIO de Carouge est la dernière structure de ce genre et de cette époque qui subsiste dans le canton et plus loin à la ronde encore. Avec ses deux façades à angle droit s’articulant sur un tambour d’entrée arrondi avec péristyle à colonnes, le BIO est en position scénique, à l’angle de la place du Marché et de la rue Saint-Joseph. Le bâtiment attire d’emblée le regard par ses façades-décors, avec fausses fenêtres à l’étage, pignons décoratifs et graphisme « modern style ». Les structures à usage cinématographique de ce genre, se veulent emblématiques d’un contraste voulu avec les constructions plus banales d’alors, et révélatrices de l’hyperbole emphatique souhaitée pour un bâtiment consacré uniquement à un mode nouveau d’expression artistique et populaire en pleine expansion: le cinéma. Ceux qui savent encore voir le BIO dans son aura mystérieuse, perçoivent que cette bâtisse vieillie, incongrue par son style et sa position, intègre à sa façon la fragilité des décors cinématographiques d’antan, peut-être la réalité provisoire des villes-décors du Far-West de notre enfance, tous nos rêves impossibles ou (pourquoi pas) possibles… et, si nous savons y faire, les réalités imaginaires et décorées qui seront celles conçues par nos enfants. 

La restauration du cinéma BIO, réaliste et nécessaire

La vie cinématographique se meurt à Carouge. Les propriétaires du BIO souhaitent vendre au meilleur prix, c’est leur droit. Le gérant aspire à une retraite bien méritée. La programmation laborieusement élaborée par quelques enthousiastes s’essouffle et le « cinéma d’amateur » que l’on tente d’implanter est loin d’entraîner l’enthousiasme populaire.

La Ville de Carouge a pris la décision d’acquérir le BIO, surtout ses murs, sans en avoir vraiment les moyens et sans avoir un projet crédible d’animation de cette salle. Les opposants référendaires, auront beau jeu de clamer la dilapidation des fonds publics.

Que les uns ou les autres l’emportent dans cette mauvaise affaire, vrai coup fourré politique, la vieille bâtisse du BIO menace de s’endormir et d’engloutir avec elle tant nos nostalgies que nos espoirs cinématographiques. Les jeunes Carougeois resteront sur le pavé de la place du Marché, bordée à l’angle de la rue Saint-Joseph, de quoi au juste ? un cyber-café ?

Il faut sauver le bâtiment du BIO, parce que c’est un élément du patrimoine bâti significatif et témoin d’une construction fonctionnelle destinée à une expression culturelle nouvelle des années 1920-1930: le cinéma. Il est important de le préserver au cœur du périmètre protégé du Vieux-Carouge, parce que dans cette position paradoxale, à contre-courant des volontés conservatrices normatives et symétrisantes du XXe siècle et de la volonté des édiles de naguère de "privilégier au cas par cas des bâtiments de qualité", il manifeste l’évolution des mentalités, des sensibilités et des activités humaines du lieu.

 Hervé Burdet

Association des Amis du BIO 72

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