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dimanche 8 février 2004

La Mouette et le Chat

Une poésie avec des ailes

Noël 1998; entre princes en mission pour le compte de Dieu et héroïnes chinoises en mission pour le compte du féminisme, un long métrage aux prétentions minimes mais au grand cœur généreux fait son chemin: La Mouette et le Chat.

Le film est tiré de l’excellent récit de L. Sepùlveda: Histoire d’une mouette et du chat qui lui enseigna à voler, fable animiste tissée avec une grande poésie et inspiration, traduite en douze langues et dont environ un million d’exemplaires ont été vendus dans le monde entier. La transposition cinématographique a été faite avec conscience par deux excellents auteurs italiens: Enzo D’Alò et Umberto Marino, déjà auteurs de La Freccia Azzura (La Flèche Bleue, très beau long métrage tiré d’un texte de Gianni Rodari).

Bien que ne réussissant pas à maintenir l’intensité poétique qui imprègne tout le livre de Sepùlveda, ce chef-d’œuvre de l’animation made in Italy conserve toute la chaleur et les valeurs fondamentales sur lesquelles est basée l’histoire originale, c’est à dire: l’amour et le respect de la nature (entente et vision presque dans un sens animiste), le sens de la solidarité et de la générosité désintéressée. La vision que l’auteur (qui d’ailleurs a collaboré activement à la production du long métrage, par exemple en qualité de doubleur: il interprète lui-même son rôle de poète) a de l’homme est intacte: un être en mesure de détruire et de dévaster un monde duquel il est le seul hôte (dans beaucoup de cas indésiré), mais aussi l’unique être en mesure de réparer les dommages causés. La métaphore de ce concept réside dans le personnage de Nina, fille d’un poète toujours en recherche d’inspiration; pour que la petite mouette réussisse à voler, l’aide de Nina est nécessaire, qu’elle soit matérielle ou morale (je ne raconterai pas clairement comment; il faut voir le film pour apprécier au mieux le tout).

L’animation et la réalisation technique de ce long métrage sont vraiment de bon niveau. Depuis La Freccia Azzura, un long chemin a été fait; le dessin est devenu plus rond, moins anguleux, plus doux et chaud dans le tracé. Les couleurs de la toile de fond et des personnages mêmes sont en parfaite harmonie avec le style du récit et avec son adaptation: des couleurs nuancées sur des tonalités rouges et vertes pour les chats et leur monde, alors que le règne des souris avec ses habitants est montré avec les tonalités plus froide du bleu et du gris (de ce point de vue, nous avons tous une dette envers la maison Disney, mais de toute façon le principe des backgrounds "vivants" est d’une grande fonctionnalité pour le rappel émotif d’une séquence déterminée).

Les mouvements de caméra sont nombreux et bien faits, sauf peut-être en quelques points où est mis en évidence une fabrication artisanale qui est inévitablement pénalisante en comparaison avec d’autres produits, dans lesquels l’emploi de la Computer Animation ou du CAPS est désormais routinier.

Les personnages qui animent l’histoire sont délicieux: traits ronds et doux sont encore une fois leur élément commun. L’observation que l’on peut faire est qu’ils finissent tous par ressembler à des peluches, que ce soit pour les chats ou les souris (qui rappellent dans leur expression le style de Bozzetto et de Manuli, deux autres très grands artistes de l’animation italienne). En réalité, ces chats ne sont pas crédibles en tant que féroces prédateurs de souris, même durant leur attaque du quartier général de Grande Topo (Grande Souris); mais de toute façon la crédibilité n’est pas l’élément "pilier" autour duquel se développe l’histoire: nous sommes entrain de parler d’une fable "bonne" jusqu’au bout, où il n’y a de réel que la force de la gravité (comme le sait bien notre petite mouette ou encore le chat Segretario (Secrétaire), victime d’expériences Léonardesques…), la noblesse des intentions et la poésie du message.

La réalisation des personnages plus "jeunes" comme la petite mouette Fortunata (Chanceuse), mais surtout comme le chaton Pallino (Petite boule), neveu de Colonello (Colonel), est vraiment très belle et intelligente: nous ne nous trouvons pas confrontés à une caricature singeant un enfant, mais réellement à un véritable enfant, de par ses raisonnements et ses émotions. La scène où Colonello se trouve assailli par les questions embarrassantes sur les relations chat-chatte, qui fusent avec cet candeur et ce naturel que seul les enfants peuvent avoir, est très divertissante…

Les expédients narratifs sont excellents; l’histoire est introduite, voire même créée, par le jeu de rime entre le Poeta (Poète) et Nina, sa fille: le premier déclame le début du ver et la deuxième le complète, désignant par jeu ce que leur inspire la poésie à ce moment. Ainsi un chat, un œuf de mouette et un poussin se trouvent comparés… et l’histoire commence.

L’amour de ces auteurs pour le dessin est très fort et il est présenté comme un milieu où réalité et fantaisie plus libre se fondent indissolublement: déjà dans La Freccia Azzura nous avons une séquence mémorable où les crayons d’une boîte de couleurs tentent de divertir le plus possible un enfant avec des dessins qui prennent vie et qui glissent d’une feuille à une autre pour interagir, pour créer une, deux, cent, mille histoires différentes. Et encore une fois, un dessin simple et "enfantin" est l’intermédiaire pour communiquer pensées et sensations, liberté et sentiments qui frisent l’abstrait. C’est le cas pour le testament de Kengah, la mère de Fortunata (notre petite mouette ou notre "chatpoulet" comme l’appellent les souris), qui confie avec une envolée idéaliste et stylisée (presque à rechercher l’essence de l’envol même, libérée des contraintes structurelles et terrestres), son unique œuf à Zorba, un chat noir et rond, sans angle dur, comme son cœur… Cela vaut aussi pour la séquence où Zorba décide de parler à Nina pour lui demander son aide (comment? Ne me dites pas que vous ne savez pas que les chats parlent…); le tout advient comme dans un rêve, par l’intermédiaire des dessins stylisés, chauds et ronds de la même enfant.

La séquence de l’accident du pétrolier est aussi d’une grande efficacité: la reprise finale est effectuée par le haut, à reprendre la tache de pétrole qui s’élargit comme une pestilence sur la mer, jusqu’à remplir de noir tout l’écran.

On ne peut pas ne pas mentionner le fantastique choix de doublage qui peuple le long métrage (habitude très plaisante qui semble revenir dans chaque film de D’Alò; il suffit de penser que dans La Freccia Azzura on pouvait compter sur l’extraordinaire interprétation de Dario Fò, absolument irracontable!). Tout d’abord Carlo Verdone dans la peau de Zorba: la voix, éclaircie en salle d’enregistrement, est en parfaite harmonie avec le personnage, chaude, gentille et rassurante, lointaine, incroyablement loin du stéréotype romanesque des personnages mesquins auxquels nous étions jusqu’à maintenant habitués (ceci, à mon avis très personnel, je ne peux (et ne veux) en aucun cas l’ôter au travail et au professionnalisme d’un des meilleurs artistes italiens de ces dernières années). Un ton un peu en-dessous, l’interprétation de Bobulina par Melba Ruffo di Calabria est particulière, peut-être plus pour l’accent que pour autre chose. Au milieu de tous, la verve interprétative d’Antonio Albanese dans la peau de Grande Topo, qui représente un vrai meneur de foule, un rat au grand charisme, fait son chemin. Une mention du mérite toute particulière va aux enfants qui ont doublé le chat Pallino (Gabriele Patriarca, spontané, très naturel et divertissant), Fortunata (dont le doublage a été effectué successivement par Sofia Baratta et Veronica Puccio, respectivement pour la mouette en tant que nouveau-né et en tant que jeune enfant, alors que Domitilla D’Amico a donné la voix à la mouette en tant qu’adolescente) et Nina (Margherita Birri).

En définitif, le long métrage a beaucoup à dire; l’animation et la technique utilisée ne sont pas vraiment comparable avec les autres produits animés sortis ces temps (Le Prince d’Egypte et Mulan), mais en ce qui concerne le cœur qui bat dans cette histoire, pardonnez la franchise et le manque de professionnalisme, ces colosses américains ne font pas le poids!!!

Et alors, pour une fois, cherchons à être orgueilleux de ce produit de l’animation italienne…… 

Auteur: Luca Fava (Copyright © 1998)

Traduction : Sophie Richard

Version en italien (PDF , 1010K)

Version française à imprimer (PDF, 82K)